Ce qui n’est pas normal nous indique la norme, tout comme la folie la sagesse. Il ne devrait pas y avoir d’ambiguïté, on ne fait pas rentrer l’anormal dans la norme, ou penser que l’anormal est la nouvelle norme à laquelle on doit se conformer. Chacun d’entre nous a son anormalité, sa pensée irrationnelle, ses lubies ou ses visions propres, comme ses erreurs et ses vérités qui n’évoquent rien pour un autre et ne lui sont pas utiles.
Puis, quand apparaît un réel péril tout le monde se retrouve à devoir penser la même chose. Ne faut-il que ces moments périlleux pour que les gens se rassemblent ? Et que dans les temps où tout va bien ou paraît aller bien, chacun se contente de son petit train de vie, de ses revenus et travaux, sans penser trop loin. C’est normal de vivre tranquillement, doucement, sans se précipiter.
Mais ce n’est jamais comme ça cela, on est toujours repris par des événements incontrôlables, anormaux. Ceux-ci nous mettent face à des énigmes, des puissances inconnues, des profondeurs et des phénomènes hors de notre champ habituel. Ça fait un choc toutes ces choses extérieures à la terre, l’habitat naturel. Comme ces mégalithes dont on ne sait plus rien, que nous serions incapables de soulever, avec nos moyens actuels, ou ces pyramides infernales à construire. Dans le même ordre d’idée les égyptiens des temps lointains seraient peut-être subjugués face à nos écrans de télévision, nos bombes atomiques et y verraient le doigt possible des Dieux. Ou disons, ces choses n’étant pas dans les normes, pas tellement dans la nature simple et sont peut-être incongrus. N’ayant nulle nécessité mais s’imposent malgré tout. On peut exister sans pyramide, arme atomique, télescope astronomique, sans sonder dans les premières particules, ou devoir voir toutes les œuvres et tous les livres, toutes les histoires.
Mais de quoi notre vie est faite, donnant à vivre ?
Je songe aux œuvres d’art ou d’artifices, qui n’ont rien de normal, de naturel, ces inventions et artefacts, ces trucs étranges devant nos yeux. Mais sans lesquels nous ne serions pas ce que nous sommes.
La terre a tellement de visages, extrêmes de tous les côtés qui ne la perturbent pas dans son existence, mais nous mettent dans des situations qui nous questionnent. Nous explorons, nous expérimentons tout ce qu’il est possible. Mais est-ce que tout doit être vécu ?
Est-ce que ces vécus extrêmes qui nous perdent doivent être essayés ? Comme si nous n’avions pas assez de stimulants simples qui ne tuent pas, et nous donnent à méditer et percevoir les profondeurs des phénomènes, ou de ce que nous sommes en nous-mêmes. Ou encore de ce vers quoi nous allons, le meilleur possible ou le pire ?
On ne vit vraiment que dans une certaine intensité. On vit mal une existence dans la fadeur, la désolation, ou en engendrant de la souffrance, la nôtre et celle des autres.
Le mal est anormal. Le mal est inévitable par ailleurs. Jusqu’à ce que nous en prenions la mesure. Et puissions savoir d’où nous venons, ce que nous fûmes et que nous avons perdu. Et dont nous sommes nostalgiques, d’un royaume doux et bon, tendre et lumineux, et où n’existent pas cette mort, ces angoisses et ces troubles.
Où il y a du génie sans malédiction.
Bon, c’est entendu, la terre est anormale, planète vivante au milieu d’autres planètes sans vie apparente, comme une oasis dans un désert nous retient, ou une île cernée d’océans impossibles à traverser sans se noyer.
Notre but n’étant pas de mourir, que je sache. Ni de nous nourrir de la vie de nos congénères, de transgresser tous les tabous ou les frontières, en croyant que cela va nous sortir de là.
Et les pouvoirs et leurs abus manifestes sur les dépossédés, croyez-vous qu’ils puissent être facteurs de notre retour vers ces origines de nous-mêmes ? Ou au contraire, un mur et un empêchement à ces retrouvailles ?
Fragilité de la pensée qui nous traverse. Rien de solide. Une frôlement d’aile à saisir au vol. Une intuition. Comme une étoile filante. Une étincelle qui chute sur le sol.
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